Depuis une décennie, le Maroc s’est engagé dans une politique nouvelle en direction des Marocains expatriés avec la création, principalement, du Conseil Consultatif des Marocains résidant à l’Etranger (CCME) en 2007. L’esprit des nouvelles orientations visait une meilleure prise en compte des mutations de la diaspora marocaine: croissance démographique, dispersion géographique, accroissement des qualifications et compétences, vieillissement des premières générations, féminisation, revendications de citoyenneté politique... Parallèlement au CCME, d’autres instances publiques restaient dotées d’attributions diverses dans le domaine, tels le Ministère délégué chargé des Marocains Résidant à l’Etranger (M.R.E.), la Fondation Hassan II pour les M.R.E. et la Fondation Mohamed V pour la Solidarité - l’objectif étant de veiller à la cohérence et à la rationalisation de leurs actions respectives.
Une politique diasporique négligeant l’instrument du Droit
Cependant, outre que le CCME n’a pas rempli nombre d’objectifs qui lui furent assignés - notamment en omettant de procéder au renouvellement de sa composition par des élections démocratiques et représentatives des Marocains résidant à l’étranger -, l’action des diverses instances chargées des M.R.E. a assez largement négligé la question de la garantie des droits de ces derniers dans les pays d’accueil.
Or, un des problèmes majeurs éprouvés par nombre de M.R.E, en particulier en Europe qui nous concerne le plus ici, réside dans les discriminations qu’ils subissent, notamment en matière de droits économiques et sociaux et de droit au séjour, dans un contexte de politiques migratoires restrictives sur fond de terrorisme islamiste.
A cet égard, et à titre comparatif, on observera par exemple que la Tunisie a renégocié , en le réadaptant, son accord du 17 mars 1988 avec la France, successivement en 2000 et en 2008.
De son côté, l’Algérie, a renégocié son Accord bilatéral de 1968, en 1985 et en 2001. Seul le Maroc est resté lié à la France par un Accord sur l’emploi et le séjour inchangé, datant de 1987, ne jouant plus aujourd’hui qu’un rôle mineur dans la protection de la diaspora.
Reste que la Constitution marocaine de 2011 est venue assigner aux institutions et pouvoirs publics des obligations claires en matière de statut de la diaspora. Selon son article 16, en effet, « Le Royaume du Maroc œuvre à la protection des droits et des intérêts légitimes des citoyennes et des citoyens marocains résidant à l’étranger (…) ». Pour sa part, l’article 163 dispose que le CCME est chargé d’émettre des avis sur les orientations des politiques publiques permettant, notamment, de « garantir les droits » des Marocains résidant à l’étranger et « de préserver leurs intérêts».
Le 2ème Forum des Avocats marocains du monde, un pas dans « l’esprit des droits » ?
Dans ce contexte, le 2ème Forum des Avocats marocains résidant à l’étranger, tenu à Agadir en novembre 2017, paraît accomplir un pas significatif dans la prise de conscience politique de l’importance de l’instrument du Droit dans la défense des intérêts des M.R.E. En réunissant une centaine d’avocats marocains établis dans diverses régions du monde et en recueillant leurs diagnostics et analyses quant au statut de la diaspora – particulièrement les personnes les plus vulnérables parmi elle - cette initiative politique reflète un intérêt nouveau et stratégique pour ces acteurs du Droit. Il apparaît en effet plus que jamais pertinent de les mobiliser dans une dynamique de réseaux, en tant que compétences du Maroc à l’étranger. Dans toutes les grandes démocraties – où la prééminence du Droit est un principe fondamental – l’Avocat est sans nul doute un acteur majeur, tant en matière de défense proprement dite, que de conseil, de représentation ou encore de négociation ou d’expertise…
A cet égard, plusieurs avocats participants au Forum ont pointé, s’agissant de l’Europe en particulier, diverses discriminations subies par les catégories de Marocains les plus vulnérables. Ainsi a-t-on déploré, par exemple, l’édiction en Espagne de mesures d’éloignement disproportionnées à l’encontre de jeunes marocains, dès lors qu’ils ont été condamnés à une peine d’emprisonnement d’un an, alors même que leurs familles sont ancrées dans ledit pays et qu’ils y résident régulièrement depuis de nombreuses années. De même, s’agissant de la France, a-t-on signalé l’iniquité des mesures refusant le versement des allocations supplémentaires de retraite aux Chibanis marocains les plus infortunés, du seul fait de leur absence du territoire français pendant plus de 183 jours. En Italie, comme dans d’autres pays européens, on a observé que le droit au séjour est retiré dans plusieurs cas aux ressortissants marocains ayant perdu leur emploi…
C’est pourquoi, nombre d’avocats participants au Forum ont appelé à une renégociation des accords bilatéraux conclus par le Maroc avec plusieurs Etats européens. Cependant, si l’approche bilatérale – donc pays par pays - est nécessaire et utile, elle demeure néanmoins insuffisante et limitée : seule, en effet, à notre sens, une politique marocaine de dimension européenne, se situant plus précisément à l’échelle de l’Union européenne (U.E), est à même de garantir une protection plus efficace et cohérente des droits des Marocains résidant dans les Etats membres.
Les précédents heureux des Accords euro-marocains de 1976 et 1996
Rappelons à cet égard qu’en 1976 le Maroc, ainsi que l’Algérie et la Tunisie, avaient conclu avec la Communauté européenne des Accords de coopération comportant outre des volets économique, commercial et financier, un volet dit de « main d’œuvre » prévoyant, en particulier, des clauses d’interdiction des discriminations à raison de la nationalité en matière de sécurité sociale et de conditions de travail.
On ne s’en souvient plus aujourd’hui, mais ce sont ces clauses qui ont permis plus tard aux « petits retraités » marocains, algériens et tunisiens, d’accéder en France aux allocations supplémentaires de retraite (dites non contributives), là où les lois françaises et les conventions bilatérales de sécurité sociale franco-maghrébines les en excluaient. La Cour de cassation française, notamment par un arrêt de principe en date du 7 mai 1991 (Mazari c/ CPAM de l’Isère), est venu proclamer ce droit en dépit de la loi française et des conventions bilatérales de sécurité sociale contraires, et ce, en application des dispositions supérieures des Accords euro-maghrébins prohibant les discriminations fondées sur la nationalité en matière de sécurité sociale.
En Belgique, presque au même moment, grâce aux mêmes clauses de l’Accord Maroc-CEE, les jeunes marocains ont pu accéder au droit à l’allocation d’attente en matière de chômage par-delà la loi belge contraire - qui les en privait au motif de leur nationalité étrangère: par un arrêt de principe, en date du 31 mai 1991, la Cour de Justice des Communautés européennes censurait à cet égard l’Office National de l’Emploi Belge pour violation du principe de non-discrimination en matière de sécurité sociale proclamé dans l’Accord Maroc-CEE . Ce sont enfin ces mêmes clauses, reprises dans l’Accord d’association euro-marocain de 1996, qui permettront aux Anciens Combattants marocains et à leurs veuves de bénéficier en France de pensions d’invalidité militaire ou de réversion sans discrimination à raison de la nationalité avec les militaires français.
Pour des dispositions novatrices dans le futur Accord Maroc-UE (ALECA)
Reste que, en dehors des discriminations directes et apparentes dans le domaine de la protection sociale, les Accords Maroc-UE ne permettent pas aujourd’hui d’appréhender d’autres formes de discriminations dont sont victimes les Marocains résidant en Europe, en particulier celles qualifiées de discriminations indirectes ou déguisées ou encore de discriminations institutionnelles. Or, le Droit européen a inventé des mécanismes permettant de lutter contre ce type de discriminations. La Cour de Justice de l’UE en a fait application dans le domaine, par exemple, de l’égalité hommes/femmes où il est possible d’arguer, notamment, de statistiques pour écarter l’application de mesures, de lois ou de pratiques apparemment neutres mais qui, en fait, entraînent des désavantages particuliers au détriment de certains groupes de personnes, en l’occurrence les femmes.
Dans le même sens, on observera positivement que pour lutter contre les effets de lois migratoires plus restrictives dans les différents pays d’Europe, la Turquie bénéficie dans l’Accord d’association qu’elle a conclu avec la Communauté européenne en 1963 d’une clause dite de « Stand still » : celle-ci garantit aux opérateurs économiques turcs exerçant régulièrement dans les pays de l’U.E. une sécurité juridique dans le domaine du droit au séjour et de la libre circulation, leur permettant d’écarter l’application de lois restrictives adoptées postérieurement à l’entrée en vigueur de l’Accord.
Dans la perspective d’une reprise des négociations Maroc-UE pour la conclusion d’un Accord de Libre Echange Complet et Approfondi (dit ALECA), il est fort souhaitable que les autorités marocaines s’attachent à l’assortir d’un volet social novateur, s’inspirant des mécanismes ci-dessus évoqués.
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