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Photo du rédacteurZouhair ABOUDAHAB

La protection des personnes contre les discriminations "raciales"

Evolution du droit français et exigences du droit européen


(Article paru dans la revue Ecarts d'identité N° 99 : "Europe migratoire" ~ Printemps 2002)

Le droit européen imprime de nouvelles orientations aux droits nationaux en élargissant le niveau minimum de protection contre la discrimination raciale dans les Etats membres. Reste une limite : ces avancées excluent les discriminations fondées sur la nationalité !


Nombreux sont les rapports et études qui, ces dernières années, ont montré les grandes lacunes du Droit français dans la lutte contre les discriminations raciales au quotidien (2). Qu'il s'agisse de la définition de la notion de discrimination, de son champ d'application, du problème de sa preuve en justice ou encore de la protection des plaignants, etc., le dispositif français (3) s'est avéré largement ineffectif face aux réalités quotidiennes des discriminations subies en matière d'emploi, d'accès au logement, aux biens et aux services, aux loisirs, etc.


   En témoigne, notamment, le nombre infime de condamnations prononcées au plan pénal et la rareté des arrêts de la Cour de cassation au plan civil. Est-ce à dire pour autant qu'on ne saurait espérer du Droit un rôle éminent dans la lutte contre les discriminations raciales ? Nous ne partageons guère cet avis, sauf à se résigner à ne voir dans le Droit, en matière d'égalité des personnes, qu'une simple proclamation de valeurs fondamentales sans garantie de leur respect ni sanction de leur violation. Cette perspective est du reste démentie par la pratique de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) tout autant que de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), pour lesquelles les droits fondamentaux sont à envisager comme des droits concrets et réels et non comme des droits abstraits et formels.

   C'est dans cet esprit que, fortement inspiré par l'approche pragmatique de la CJCE dans l'interprétation de la réglementation communautaire relative à la discrimination fondée sur le sexe , le Conseil de l'Union a adopté, le 29 juin 2000, une importante directive " relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique " (4). C'est la première fois que la Communauté européenne s'engage ainsi sur le terrain de la lutte contre les discriminations raciales après en avoir reçu compétence, il est vrai, sur le fondement de l'article 13 du traité CE ( tel qu'introduit par le traité d'Amsterdam entré en vigueur le 1er mai 1999). La directive, qui devra être transposée dans les droits nationaux au plus tard le 19 juillet 2003, impose un niveau minimum de protection contre la discrimination raciale dans tous les Etats membres de l'UE, tout en leur laissant le choix d'adopter un niveau de protection supérieur.

   Conscient des transformations que le Droit européen - dont la directive précitée - impose aux droits nationaux, le législateur français, de son côté, vient d'adopter deux textes législatifs visant à renforcer la lutte contre les discriminations, y compris raciales, dans la vie économique et sociale. La loi du 16 novembre 2001 vise, elle, les discriminations en matière d'emploi (5) : désormais, la définition du célèbre article L.122-45 du Code du travail est élargie : aux motifs de discriminations prohibées, initialement prévus -- origine, sexe, situation de famille, appartenance à une ethnie, une nation ou une race, activités syndicales, convictions religieuses, ... -- sont ajoutés d'autres motifs, dont "l'apparence physique" et "le patronyme". La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, pour sa part, comporte un volet de lutte contre les discriminations dans la location de logement -- s'inspirant largement des principes de la première loi -- incluant, également, "le patronyme" et "l'apparence physique" comme nouveaux motifs de discrimination prohibée.

   Dans une perspective comparative, on parcourra brièvement les principales dispositions des textes -- européen et nationaux -- pour en montrer les apports, les convergences et, également, les différences, sachant -- précisons-le d'emblée -- que la portée de la directive européenne est beaucoup plus large que celle des nouvelles lois. Nous examinerons, ainsi, succes-sivement, la notion de discrimination prohibée , son champ d'application, la question de sa preuve en justice, la question de la protection des plaignants, le régime des sanctions y afférent, , ainsi que les dispositions concernant le renforcement de l'action des syndicats et des associations en matière de lutte contre les discriminations.

   Ce faisant, on ne saurait ignorer que ces textes ne visent pas, ou prou, la prohibition des discriminations fondées sur la nationalité - qu'ils excluent, implicitement ou explicitement, de leur champ d'application ! Cette question fera l'objet de considérations finales dans le cadre de la présente contribution.

Une définition large de la discrimination prohibée

   Au plan du concept de discrimination, la directive du Conseil de l'UE du 29 juin 2000 retient une définition plus large que celle traditionnellement consacrée en Droit français : outre la discrimination directe (ou ouverte) -- qu'elle définit (6) -- elle introduit le concept de discrimination indirecte (ou déguisée). Selon le texte européen, "une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une race ou d'une origine ethnique donnée par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriées et nécessaires". On notera donc que, contrairement à la tradition française, on ne s'attache pas, dans cette définition, à l'élément intentionnel - ou subjectif - qui anime les mesures ou les pratiques en cause, mais aux conséquences et effets désavantageux qu'elles sont susceptibles de produire pour les personnes qui en font l'objet. Aussi, lorsque c'est le cas, lesdites mesures ou pratiques - bien qu' apparemment neutres -- seront considérées comme des discriminations indirectes prohibées, sauf s'il est établi qu'elles sont justifiées par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination raciale et qu'elles sont, en outre, proportionnées au but qu'elles poursuivent (qui doit être légitime).

   C'est au moyen de ce concept de discrimination indirecte que la CJCE avait développé une jurisprudence vigoureuse en matière d'égalité de rémunération entre hommes et femmes. Dans l'affaire "Bilka" (13 mai 1986), par exemple, une société de grands magasins avait institué un régime de pension d'entreprise pour ses salariés en le subordonnant toutefois, s'agissant des salariés à temps partiel, à la condition qu'ils aient travaillé à temps plein au moins 15 ans sur une période 20 ans. Une salariée à temps partiel avait sollicité le versement de la pension sans remplir les conditions exigées- considérées par elle comme discriminatoires. La question posée dès lors à la CJCE était de savoir si - bien qu'apparemment neutres -- lesdites conditions ne constituaient pas une discrimination indirecte fondée sur le sexe, dans la mesure où les salariés à temps partiel étaient très majoritairement des femmes qui, en l'espèce, éprouvaient un désavantage particulier par rapport aux salariés hommes. Ce à quoi la Cour avait répondu : "L'article 119 du traité [relatif à l'égalité de rémunération entre hommes et femmes] est violé lorsqu'une mesure frappe un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes, à moins que l'entreprise n'établisse que la mesure s'explique par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe".

   La loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations en matière d'emploi n'a pas manqué de retenir la notion de discrimination indirecte, sans toutefois la définir. En la matière, la référence à la définition retenue par la directive européenne sera très probablement de mise. On rappellera également qu'aux motifs de discrimination prohibée fondés sur " (l') appartenance ou (la) non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, ou une race, (…) ", ladite loi a ajouté ceux ayant trait à "(l') apparence physique" et au "patronyme". Dans le même sens, le volet logement de la loi de modernisation sociale est venu modifier la loi du 6 juillet 1989 (dite "Loi Mermaz") sur les rapports locatifs en posant un principe général d'interdiction des discriminations dans la location de logements, dont les discriminations à raison de "l'apparence physique" et "le patronyme". Cela étant, si cette loi n'adopte pas expressément le concept de discrimination indirecte, on n'ignorera pas que l'application de celui-ci par les juridictions françaises sera obligatoire au plus tard à la date limite de transposition de la directive européenne précitée, soit le 19 juillet 2003.

Un champ d'application matérielle étendu

   Il importe d'observer que le champ couvert par la prohibition de la discrimination est également beaucoup plus large dans la directive qu'il ne l'est dans le droit français actuel. Le texte européen est en effet applicable tant au secteur privé qu'au secteur public, et ce, dans divers domaines : l'emploi au sens large du terme ( y compris la promotion au sein de l'entreprise), l'orientation professionnelle et la formation professionnelle, l'affiliation et l'engagement dans une organisation de travailleurs ou d'employeurs, la protection sociale, y compris la sécurité sociale et les soins de santé, les avantages sociaux, l'éducation, l'accès aux biens et services et la fourniture de biens et de services, le logement, y compris l'accès à la propriété…

   Cela étant, il convient de souligner que, inspirée par la jurisprudence et les textes européens, la loi du 16 novembre 2001 n'a pas manqué d'étendre le champ d'application de l'interdiction des discriminations au travail à de larges pans de la vie professionnelle. Jusque-là, seules étaient prohibées, en effet, les discriminations intervenant à l'occasion d'une embauche, d'un licenciement ou d'une sanction. Désormais est concerné l'ensemble de la carrière du salarié et de la relation de travail dans toutes ses composantes. Ainsi la prohibition de la discrimination à raison de l'apparence physique ou du patronyme vise-t-elle, notamment, les questions de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat de travail. Dans le même ordre d'idée, on notera que le "volet logement" de la loi de modernisation sociale a introduit, pour sa part, une nouveauté dans le champ de la prohibition des discriminations : l'interdiction de refuser une caution "au motif qu'elle ne possède pas la nationalité française" (art. 161 de la loi). Observons toutefois que, contrairement à la directive européenne, la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations en matière d'emploi ne vise pas le secteur public -- qui reste, donc, en dehors de son champ d'application ; quant à la loi de modernisation sociale, on soulignera qu'elle ne vise que l'accès au logement aux fins de location, laissant de côté l'accès au logement aux fins de propriété.

   Rappelons enfin que les prescriptions de la directive européenne s'étendent au-delà du seul domaine de l'emploi et du logement - ce qui exige des autorités françaises d'autres adaptations législatives, notamment concernant le domaine de l'accès aux services au sens large (publics et privés, éducation, loisirs, etc.).

De la preuve de la discrimination !


La réglementation communautaire a depuis 1997 adopté un système de preuve pragmatique de la discrimination fondée sur le sexe ; système dégagée par la jurisprudence de la Cour de Luxembourg et reposant sur la répartition de la charge de ladite preuve entre le demandeur et le défendeur. La directive du 29 juin 2000 relative à la lutte contre les discriminations raciales a retenu ce même système de preuve allégé pour les victimes présumées de discrimination - ce qui exigera du législateur français des adaptations considérables.

   En droit français, en effet, la charge de la preuve de la discrimination raciale repose traditionnellement sur le plaignant seul, partant du principe général de présomption d'innocence ou de l'adage " la preuve incombe au demandeur ". En pratique, l'application procédurale de ces principes par les juridictions françaises aboutissait très souvent à l'impossibilité pour les victimes de discrimination de prouver celle-ci et d'obtenir réparation. Le texte européen oblige à une modification du régime probatoire français en imposant une répartition de la charge de la preuve entre les deux parties, et ce, au moyen du mécanisme de présomption simple de discrimination : "dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits permettant de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y pas eu violation du principe de l'égalité de traitement".

   La loi du 16 novembre 2001 a adopté ce même système en matière de discrimination au travail ; elle est même allée plus loin dans l'allègement de la charge de la preuve au bénéfice du plaignant : désormais, en cas de litige, le salarié ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une formation qui s 'estime victime d'une discrimination raciale doit " présenter (et non pas " établir " comme dans la directive ) les éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte " . Au vu de ces éléments, il incombera à l'employeur de démontrer que " sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ". Le juge, en dernier lieu, formera sa propre conviction à partir des éléments présentés, après avoir, le cas échéant, ordonné " toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles " : ainsi, le rôle du juge n'est plus limité, comme auparavant, à l'analyse des seuls éléments recueillis par le plaignant. La loi de modernisation sociale a, tout logiquement, retenu ce même régime de la preuve pour ce qui est de l'accès aux logements locatifs avec, toutefois, une réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel : aux fins de respect des principes des droits de la défense et du contradictoire, les Neuf Sages ont souligné, en effet, la nécessité pour le demandeur de présenter devant le juge civil des éléments de présomption précis et concordants laissant supposer la discrimination. En tout état de cause, il importe de préciser que ce régime de preuve ne s'appliquera pas aux procédures pénales. La directive européenne prévoit elle-même cette exclusion motivée par la réticence de certains Etats (dont la France) qui y avaient fermement opposé le principe de présomption d'innocence. Ce sont donc essentiellement les matières civiles et prudh'omales -- notamment à l'effet de réparation pécuniaire du préjudice subi -- qui devront se voir appliquer ce régime probatoire allégé. Cela conduira probablement en France au développement du traitement civil des discriminations raciales, à l'encontre de l'approche essentiellement pénale suivie jusque-là en la matière.

La protection des plaignants et des témoins de discriminations

   Dans ce même registre de l'accès à la justice, la question de la protection des plaignants et des témoins contre d'éventuelles représailles n'est pas restée en dehors du champ des exigences du texte européen qui, toutefois, laisse aux Etats le choix des moyens et des techniques pour y parvenir : " Les Etats membres introduisent dans leur système juridique interne les mesures nécessaires pour protéger les personnes contre tout traitement ou toute conséquence défavorable en réaction à une plainte ou à une action en justice visant à faire respecter le principe de l'égalité de traitement" (article 9).

   Traditionnellement, le dispositif français ne comporte pas de mesures spécifiques de protection des plaignants ou des témoins de discriminations raciales, telle que, par exemple, l'instauration d'une période de présomption illicite de licenciement lorsque celui-ci intervient consécutivement à l'action en justice d'un salarié . Désormais, toutefois, en matière de discrimination au travail, la loi du 16 novembre 2001 a introduit un nouvel article dans le Code du travail (L. 122-45-2) prévoyant qu' " est nul et de nul effet le licenciement d'un salarié faisant suite à une action en justice engagée par le salarié ou en sa faveur sur la base des dispositions du présent code relative aux discriminations, lorsqu'il est établi que le licenciement n'a pas de cause réelle et sérieuse et constitue en réalité une mesure prise par l'employeur à raison de l'action en justice. En ce cas, la réintégration est de droit et le salarié est regardé comme n'ayant jamais cessé d'occuper un emploi ". Plus encore, si le salarié refuse d'être intégré, le Conseil des prud'hommes lui alloue une indemnité qui ne peut pas être inférieure aux salaires des six derniers mois, ainsi qu'une indemnité correspondant à l'indemnité de licenciement

Le régime de sanction des discriminations

   Dans le domaine des sanctions du délit de discrimination, le texte européen exige des Etats membres, surtout, que lesdites sanctions-- qui peuvent comprendre le versement d'indemnités à la victime-- soient "effectives, proportionnées et dissuasives". Théoriquement, ces dispositions ne devraient pas avoir de conséquences particulières sur le droit français, dans la mesure où celui-ci prévoit déjà un dispositif assez complet en la matière (7), comprenant des peines principales sévères, tels l'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 2 ans et/ou l'amende d'un maximum de 200 000 F, ainsi que des peines complémentaires -- pouvant s'ajouter ou se substituer aux peines principales -- comprenant, notamment : l'interdiction d'exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou sociale, la privation des droits civiques, civils et de famille et, pour les personnes morales, la fermeture temporaire ou définitive d'établissement, l'exclusion des marchés publics à titre temporaire ou définitif, etc.

   En fait, c'est au plan de sa mise en application que ce régime des sanctions soulève de vives critiques : la pratique judiciaire française ne retient en général que des peines d'amende, du reste assez faibles (8) ; elle n'utilise que très rarement les dispositions relatives à la responsabilité pénale des personnes morales -- dispositions prévoyant pourtant des peines complémentaires pouvant s'avérer efficaces et dissuasives ; quant à la réparation du préjudice des victimes, il s'avère que les dommages et intérêts généralement alloués sont très faibles. La transposition de la directive européenne modifiera-t-elle la pratique judiciaire généralement à l'œuvre ? Cela dépendra probablement du degré de réceptivité du texte européen par les parquets et les juridictions françaises et, probablement, de la vigueur de la jurisprudence de la CJCE qui, désormais, pourra être saisie de ces questions.

Le renforcement de l'action des syndicats et des associations

   Afin de permettre une mise en œuvre efficace du dispositif, la directive européenne incite les Etats membres à élargir les possibilités d'action en justice des syndicats, des associations et autres personnes morales dans le domaine de la lutte contre les discriminations raciales : " Les Etats membres veillent à ce que les associations, les organisations ou les personnes morales qui ont, conformément aux critères fixés par leur législation nationale, un intérêt légitime à assurer que les dispositions de la présente directive soient respectées puissent, pour le compte ou à l'appui du plaignant, avec son approbation, engager toute procédure judiciaire et/ou administrative prévue pour faire respecter les obligations découlant de la présente directive ".

   La loi du 16 novembre 2001 est allée plus loin que les exigences minimales posées par le texte européen en ce domaine. Désormais, en matière de discrimination au travail, les organisations syndicales représentatives au plan national ou dans l'entreprise peuvent agir en justice sur le fondement du principe de l'égalité de traitement, en lieu et place du salarié victime tout en bénéficiant du régime d'aménagement de la charge de la preuve déjà décrit. Cette action en substitution leur est ouverte sans avoir à justifier d'un mandat de la part de l'intéressé, dès lors qu'il a été averti par écrit et qu'il ne s'y est pas opposé. Notons que cette action syndicale - qui ne s'oppose pas, du reste, à l'intervention de l'intéressé pendant le cours de l'instance - n'était ouverte auparavant qu'aux cas de rupture d'égalité professionnelle entre hommes et femmes. La loi permet également aux associations régulièrement constituées depuis cinq ans, ayant pour objet la lutte contre les discriminations, de bénéficier de la même possibilité d'ester en justice que les syndicats avec, toutefois, deux réserves : - la nécessité pour elles d'obtenir préalablement l'accord de l'intéressé ; - la possibilité pour ce dernier d'intervenir à l'instance et y mettre fin à tout moment.

   Enfin, notons qu'en matière de logement, la loi de modernisation sociale permet désormais à un locataire unique (et non plus, comme auparavant, nécessairement à plusieurs locataires) de donner mandat à une des associations agréées à cette fin, pour agir à sa place dans le cadre d'un litige individuel -- l'idée étant de protéger les locataires les moins aptes à se défendre seuls.

La question des discriminations à raison de la nationalité

   La directive du 29 juin 2000, ainsi que la réglementation et la jurisprudence communautaires qui la précèdent, impriment certainement aujourd'hui de nouvelles orientations au droit français pour une meilleure efficacité dans la lutte contre les discriminations - dont les discriminations raciales. La loi du 16 novembre 2001, notamment, en est une claire illustration pour ce qui concerne le domaine du travail. D'autres dispositions législatives internes restent, toutefois, absolument nécessaires aux fins de transposition complète et correcte des exigences du texte européen, notamment concernant les questions d'éducation, d'accès aux biens et aux services - dont les services publics. L'effectivité du principe de l'égalité de traitement dépendra, en tout état de cause, du degré d'appropriation des dispositifs nouveaux par les acteurs de la lutte contre les discriminations - syndicats, associations, inspection du travail, représentants du personnel, etc. - ainsi que de la réceptivité qui en sera faite par les juridictions nationales. Gageons que la Cour de Justice des Communautés Européennes ne manquera pas de faire évoluer ces dispositifs grâce à la vigueur de son interprétation jurisprudentielle. Reste que l'on ne saurait se méprendre sur les limites de ces nouveaux textes qui - surprise ! - ne visent pas les nombreuses discriminations sur critère de nationalité. Ainsi, la directive du 29 juin 2000 précise-t-elle que si l'interdiction des discriminations " doit également s'appliquer aux ressortissants de pays tiers ", cette interdiction " ne vise pas les différences de traitement fondées sur la nationalité et est sans préjudice des dispositions régissant l'entrée et le séjour des ressortissants de pays tiers et leur accès à l'emploi et au travail " (préambule, point 13). Or, rappelons qu'en France, plus de 615 000 emplois du secteur privé sont aujourd'hui interdits aux étrangers (hors Communauté européenne), sans compter ceux - nombreux - relevant du secteur public (9) ; qu'aujourd'hui le refus d'octroi d'un prêt pour raison de nationalité étrangère est considéré par le Conseil d'Etat comme non-discriminatoire (10) !; rappelons également qu'une loi de 1959, toujours en vigueur, prévoit, en matière de pensions militaires, un traitement inégalitaire pour les Anciens Combattants étrangers (et leurs veuves) par rapport aux Anciens Combattants français- même si le Conseil d'Etat vient d'écarter l'application de cette loi dans un arrêt concernant des ressortissants sénégalais (11)…

   Il est significatif, enfin, d'observer que dans une première version de la directive du 29 juin 2000, la Commission européenne avait proposé une disposition selon laquelle une différence de traitement en raison de la nationalité peut être considérée comme une discrimination indirecte prohibée, lorsque le critère de nationalité est utilisé de manière déguisée pour justifier, en réalité, une discrimination fondée sur la " race " ou " l'origine ethnique ". Cette disposition a toutefois disparu du texte final !




(1) Il va de soi que la notion de "race" n'a aucune valeur scientifique. Le lecteur comprendra aisément que l'usage qui en est fait ici ne répond qu'à des raisons de commodité. , découlant également dela règlementation communautaire. (2) Voir, par ex., G.E.L.D., Le recours au droit dans la lutte contre les discriminations : la question de la preuve, note n° 2, oct. 2000 ; Haut Conseil à l'intégration, Lutte contre les discriminations : faire respecter le principe d'égalité, La documentation française, 1998 ; E. Decaux (ss dir.), Le droit face au racisme, Ed. A. Pedone, 1999 ; Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme, Contre le racisme, un combat au quotidien, Actes du colloque des 6 et 7 juillet 2000, La documentation française, 2000 ; J.-M. Belorgey, Lutter contre les discriminations, Rapport à Mme la Ministre de l'Emploi et de la Solidarité, mars 1999. (3) Notamment les articles 225-1 et 2 du Code pénal et L. 122-45 du Code de travail. (4) Directive 2000/43/CE, JOCE n° L 180 du 19 juil. 2000, pp. 22-26. (5) Loi n° 2001-1066, JO du 17 nov. 2001. (6) Selon l'article 2, a) de la directive " Une discrimination directe se produit lorsque, pour des raisons de race ou d'origine ethnique, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été, ou ne le serait dans une situation comparable ". (7) Voir, notamment, le Code pénal en ses articles 225-2 (peines principales), 225-19 et 20 (peines complémentaires), 432-7 (abus d'autorité) et pour les personnes morales, voir notamment les articles 131-38 et 131-39 du même Code. (8) Le plus souvent le montant des amendes ne dépasse pas 10 000 F. Les condamnations à des peines d'emprisonnement, même avec sursis, sont rares (cf. GELD, op. cit.). (9) Voir Z. Aboudahab, " Discriminations dans l'accès au travail en raison de la nationalité - Quelles justifications ? ", Ecarts d'identité, n°95-96 (Printemps 2001) (10) Voir CE, 30 octobre 2001, Association française des sociétés financières et autres, n° 204909. (11) CE, 30 novembre 2001, n° 21279, Diop.

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